Pas besoin d’être philanthrope pour admettre le dividende universel

Aussi utopique puisse-elle être, la théorie du dividende universel sera, dans un avenir pas si lointain, la seule solution pour faire face aux mutations profondes de la société : l’émergence des monnaies virtuelles, l’explosion des gains de productivité, et l’accroissement de la complexité de la société. Et ça, même les opposants au revenu minimum garanti le comprendront un jour…

Sur ce blog, j’ai défendu à de multiples reprise le dividende universel, via des arguments très différents, allant de la défense d’une certaine décroissance, à l’insoluble problème des gains de productivité, en passant par la description d’un nouveau pacte social, l’étude des expériences menées à ce jour, la dénonciation de l’hypocrisie des talibans de la « valeur travail » et bien sûr par l’approche monétaire, et l’échec flagrant des politiques monétaires actuelles. Bref, j’ai battu en brèche de nombreuses objections, critiques, ou interrogations.

Manifestement, les arguments économiques, progressistes, humanistes, et allant du bon sens ne suffisent pas toujours. Tentons alors une autre approche : imaginons que le revenu de base soit une idée monstrueuse dont personne ne veuille. Évinçons ainsi, pour la méthodologie, tous les arguments tendant à montrer que le revenu de base est une solution positive, souhaitable face à la crise. Ajoutons également un soupçon de cynisme, pour le style.

Et bien même en partant de ces hypothèses, le revenu de base, et encore plus le dividende universel monétaire, demeurent la seule solution connue pour adapter notre structure économique aux mutations qui nous attendent. Et il incombe donc à ceux qui prétendent vouloir/pouvoir diriger ce pays de commencer à y réfléchir sérieusement dès maintenant.

Qui achètera les produits fabriqués par les robots ?

Comme evoqué plusieurs fois sur ce blog, il y a un enjeu trop sous-estimé par l’opinion publique ainsi que nos décideurs : l’explosion des gains de productivité. Ces gains de productivité, s’ils sont positifs pour la société, posent un véritable problème économique quand la croissance ne suit pas.

Les gains de productivité sont tenables à long terme si leurs fruits sont équitablement redistribués dans la société, par des baisses des prix et des hausses de salaires, plutôt que les seuls dividendes des actionnaires. Mais cela ne suffit pas : il faut aussi qu’une demande nouvelle soit générée de la hausse des bénéfices octroyés à ces derniers. L’économie de production réalisée sur la fabrication d’une baignoire doit servir à acquérir d’autres produits plutôt que de dormir dans un compte en banque où être investi dans un produit financier quelconque. Or, le problème est bien qu’aujourd’hui nous constatons une saturation de la demande, du moins de la demande marchande. En effet, plutôt que de consommer toujours plus, nous passons de plus en plus de temps à produire ou nous divertir « gratuitement » sur internet (valeur du logiciel « gratuit » Debian : 14 milliards de dollars…), tandis qu’une poignée de gens accumule toujours plus de profits qui ne sont pas réinjectés dans l’économie réelle.

Cette situation ne peut tenir éternellement : elle dénude les 99% non seulement d’un emploi, mais également d’un revenu. Et par ricochet, les entreprises sont privées de demande solvable.

Ainsi, le patron industriel dont l’usine produit toujours plus avec une quantité moindre de travail (et de capital) mais qui n’a personne pour acheter ses produits est sacrément embêté. Henry Ford l’avait parfaitement compris : il payait raisonnablement bien ses salariés pour que ceux-ci achètent les fameuses Ford-T. Quel méchant opportuniste celui-là !

L’organisation du travail chez Ford par stemol

Dans un avenir pas aussi lointain qu’il ne puisse paraître, de plus en plus d’objets de consommation courante seront produits par des robots, ou bien depuis chez soi avec une imprimante 3D, ou bien dans l’atelier coopératif du quartier équipé de machines-outils très polyvalentes. Ces produits seront fabriqués à la demande, et avec un minimum d’effort physique (les gens s’échangeront gratuitement les modèles sur internet). Quelques liens à ce sujet, pour votre curiosité :

production 2.0

Mais comment les gens pourront-ils acheter des produits finis ou bien les matières premières destinés à l’autoproduction s’ils n’ont pas de travail rémunéré ? Les quelques industriels ou grandes multinationales du web qui auront réussi à se conforter dans une situation monopolistique finiront par comprendre qu’ils n’ont pas intérêt à s’accaparer toute la monnaie en circulation.

Ils accepteront alors de donner quelques miettes aux foules affamées et en colère. Non pas qu’un relent d’humanisme traverserait l’esprit de nos aristocrates, mais simplement car ce sera un moyen pour la minorité dominante de conforter sa propre situation en permettant aux gens de continuer à acheter ses produits.

Et s’ils ne comprennent pas ça, alors les citoyens le feront pour eux d’une manière ou d’une autre… Puisqu’ils seront armés !

Le talon d’Achille de l’Etat : la monnaie

Autre phénomène profondément nouveau dans la société : la liberté d’échange des informations à travers le réseau internet. Bien sûr, on voit bien que cette Liberté nouvelle dérange, et que l’oligarchie s’efforce de prendre le contrôle du réseau (cf ACTA, Hadopi, Loppsi et ceteri). Mais gageons que les super méchants hackers auront toujours une distance d’avance sur les gouvernements : le crytpage généralisé se développera ainsi, surtout lorsque les outils adéquats auront été rendus suffisamment user-friendly et accessibles à tous.

De cette liberté d’échanger découle beaucoup d’autres Libertés, comme celle de battre monnaie en créant des monnaies virtuelles chiffrées (cryptocurrencies). Car après tout, les monnaies modernes ne sont que des bouts de papiers et/ou des écritures comptables. Bref, des trucs que les hackers peuvent parfaitement manier. Bitcoin constitue en tout cas une solide preuve que cela est possible.

A l’image de bitcoin, des centaines de monnaie vont émerger, et ce notamment si les gouvernement sont incapables de faire mieux avec la monnaie officielle. Si (par exemple…) la BCE nous plonge dans une hyperinflation ou que nos dirigeants nous forcent à payer leurs dette, nul doute que des hackers avisés étudieront le moyen d’outrepasser l’euro avec une monnaie virtuelle, cryptée, et dont les règles de création monétaire garantiront une meilleure stabilité économique.

Ce que les gens faisaient traditionnellement dans les périodes de crises (acheter de l’or, faire du troc, ou échanger avec des cigarettes en guise de monnaie), la population pourra désormais le faire encore beaucoup plus efficacement, grâce à internet.

Et ça, c’est une très mauvaise nouvelle pour nos gouvernements et nos banquiers… Donc une bonne nouvelle pour nous. 🙂

En effet, aux dernières nouvelles, il est impossible pour un gouvernement de prélever des taxes sur les échanges effectués dans une monnaie cryptée telle que bitcoin ou autres. Or, c’est bien là la faiblesse de l’Etat : un gouvernement incapable de prélever l’impôt est un gouvernement à poil. Rappelons à ce titre que David Thoreau, l’un des pères de la désobéissance civile, faisait la grève de l’impôt pour protester contre l’esclavagisme aux États-Unis.

Comment un État sans ressources peut-il payer les fonctionnaires ? Comment fait-il pour corrompre la main d’oeuvre nécessaire au maintien de son autorité ? (police, armée, services de surveillance…) Il pourrait bien imprimer de la monnaie, mais faute d’être utilisée, sa valeur sera nulle, et lesdits fonctionnaires finiront par ne plus collaborer.

Encore une fois, nul n’a besoin d’être philanthrope pour comprendre qu’à un moment donné, les tenants du pouvoir seront obligés de céder du terrain… pour se maintenir. Dans le cas ici présent de la monnaie, il faudra trouver un moyen pour que la population utilise de nouveau la monnaie officielle.

Bien sûr, la force est toujours une option. Mais un autre moyen encore plus simple sera de distribuer de cette monnaie à tout le monde sous la forme… d’un dividende universel. D’autant que d’ici là, des monnaies fondées sur un dividende universel comme open-udc auront vu le jour et montreront ainsi l’exemple.

A l’inverse de toute les logiques coercitives, la gratuité est le seul moyen de rendre une monnaie vraiment attractive : quand bien même les gens ne veulent pas de l’euro, si vous leur en donnez, ils l’utiliseront, par effet d’aubaine.

Et accessoirement, l’Etat n’aura alors plus à s’embarrasser de taxer pour financer un semblant de modèle social : il imprimera simplement la monnaie et la donnera au peuple. L’inflation s’occupera du reste, et nous, nous nous occuperons de nous-même …

CQFD.

Nous gagnerons par la complexité

Thierry Crouzet a encore raison : plus nous augmentons la complexité du monde (en utilisant par exemple des imprimantes 3D ou des monnaies virtuelles) plus nous désarmons cet Etat anti-social qui ne protège personne d’autre que l’oligarchie. La complexité paralyse totalement les structures rigides et centralisées. Elle les rend désuètes, inutiles, obsolètes.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que le risque de tomber dans une dictature d’ici là n’existe pas. L’Histoire reste à écrire au moment où j’écris cet article… (et j’ai rangé ma boule de cristal au paragraphe précédent).

On peut néanmoins espérer que certaines personnes bien placées préfèreront jouer finement pour conserver leurs intérêts plutôt que de provoquer un bain de sang. Car au fond, ces gens, aussi puissants, célèbres et stupides soient-ils, préfèrent en général être adulés plutôt que détestés. Ils préfèreront donc prendre les décisions visionnaires au bon moment pour être traités en héros. L’égoïsme sauvera le Monde !


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