La monnaie est le code privateur de l’économie

Imaginez que l’on confie le protocole TCP/IP à Orange et que ce dernier facture chaque octet qui passe sur le réseau. Vous y êtes ? Vous avez maintenant une idée de ce à quoi ressemble le système monétaire : un immense bien commun confié aux intérêts d’une minorité bien organisée.

La victoire des activistes de l’internet ouvert contre ACTA au parlement européen montre bien que l’on peut mobiliser des foules lorsqu’il s’agit de protéger un bien commun. Et pour cause, un internet non ouvert n’a aucun sens. Pour le vérifier, faisons donc l’exercice : imaginez quelques secondes si le minitel 2.0 était la réalité d’aujourd’hui… Que se passerait-il ?

J’ai dans ma tête une vision d’horreur où Orange nous facturerait chaque octet transmis au réseau.

Du coup, chacun chercherait à facturer aux autres tout et n’importe quoi afin d’alléger sa propre facture, étouffant ainsi naturellement le développement de toute sphère non marchande, et favorisant au contraire une logique de rivalité plutôt que de coopération.

Personne ne contribuerait sur wikipédia puisque cela lui couterait cher. Ou alors, il faudrait un wikipédia privé, qui rémunérerait les contributeurs pour les rembourser de leurs frais de connexion. Mais bon, du coup ça ne serait plus vraiment wikipédia n’est-ce pas ?

Les blogueurs, eux aussi, existeraient certes toujours. Mais ils passeraient alors plus de temps à optimiser leurs bannières publicitaires où à écrire des billets sponsorisés plutôt qu’à diffuser leurs idées. Sauf bien sûr les blogueurs dont la situation financière permettrait aisément de se consacrer à leur véritable passion. Bref, du coup la blogosphère ne serait pas vraiment la même que celle que l’on connait aujourd’hui.

Quant à Facebook ? Cela n’existerait pas : trop cher pour les utilisateurs. Du coup, les gens ne seraient pas plus connectés qu’avant. Ou alors, peut être que cela existerait mais alors au prix d’une exploitation encore plus scandaleuse de nos données personnelles. Par exemple, facebook nous rembourserait nos frais de connexion au prorata de la quantité de données privées que nous donnerions à facebook (ou à ses entreprises clientes).

Bref, voyez ce que je veux dire ? Et bien la vraie vie dans cette foutue économie, c’est à peu près pareil.

Comment la monnaie nuit à la coopération

En effet, comme 97% de l’argent est en vérité de la dette (lire ce post pour plus d’explications), cela signifie que chaque centime d’euro est soumis au paiement d’un intérêt, à l’image des octets fictivement facturés par Orange.

Concrètement, l’argent que vous touchez d’un salaire ou d’une pension provient en amont d’une dette de l’entreprise qui vous salarie  envers sa banque ou ses créanciers, ou bien de l’Etat envers les marchés via la dette publique. Et donc, votre salaire est diminué du cout financier de cette dette que doit payer l’entreprise. De même que la facturation des octets serait un frein majeur à la production de richesses, la monnaie (et donc la dette) devient un cout de transaction dont les citoyens paient toujours la facture au final.

En vérité, la conséquence ultime de ce système, c’est qu’il n’y a jamais assez d’argent pour tout le monde. Le remboursement des crédit des uns se fait nécessairement en diminuant l’épargne (ou augmentant la dette) des autres pour rembourser les intérêts. Du coup, naturellement, les activités altruistes et fondées sur la coopération ne peuvent que très difficilement s’imposer.

C’est un jeu à somme nulle, sans autre victoire de celle de la lutte de tous contre tous. Nous sommes tous dans une lutte acharnée pour notre propre survie, alors même que nous savons pourtant produire suffisamment de biens de première nécessité pour tous les habitants de la Terre. C’est ridicule, en fait.

L’intelligence vs. rareté artificielle

Heureusement, il y aune faille dans ce système : celui-ci repose sur le mythe de la rareté. Une rareté artificielle qui n’existe  nulle part d’autre que dans l’esprit du plus grand nombre, et parfois grâce à des stratégies nuisibles pour la maintenir (ex: l’obsolescence programmée).

De même qu’il deviendra impossible de facturer chaque octet si la majorité des internautes comprend qu’ils peuvent eux aussi participer à la création d’un réseau libre à base de peer to peer et que chaque octet ne coute pas vraiment plus cher aux opérateurs, le système monétaire ne tiendra pas le choc quand la population aura conscience que la monnaie n’est « rare » que parce que les règles du système en ont décidé ainsi. Le problème est donc en grande partie dans nos propres consciences…

Heureusement, il existe des alternatives pour nous ouvrir les yeux.

De même que la neutralité du net est le garde fou face aux dérives du capitalisme qui essaye de reproduire partout la rareté artificielle nécessaire à sa survie, une solution pour la monnaie est d’y intégrer un revenu de base.

Imaginez un bitcoin dont la création monétaire, plutôt que d’être distribuée à ceux qui gaspillent de l’énergie en faisant tourner leurs bécanes jour et nuit, irait à tous les participants. Ajoutez-y une règle : le système monétaire ne doit pas favoriser une génération par rapport à une autre, ou autrement dit, la création monétaire doit respecter une égalité de traitement entre les citoyens.

(Vous y êtes ? Bravo, vous venez de piger le projet de monnaie virtuelle Open UDC)

De même que la neutralité du net garantit à chaque citoyen la possibilité d’utiliser le réseau de manière non discriminée face aux plus puissants et sans devoir concéder ses données personnelles à des intérêts privés, le revenu de base garantit à chaque citoyen un minimum monétaire permettant de participer à l’économie, sans devoir de prime abord s’endetter ou vendre du travail gratuitement à quiconque.

Libérons le code de la monnaie !

La monnaie est aujourd’hui un instrument géré par les banques et les banques centrales d’une manière parfaitement pyramidale et arbitraire. Or, qu’est-ce que la monnaie si ce n’est un protocole, un code ?

Sauf que ce code, contrairement à celui de l’internet, est tout sauf ouvert, transparent, et encore moins contrôlable démocratiquement. La monnaie est aujourd’hui le code privateur de l’économie : c’est l’outil qui nous opprime tous et nous rend esclave d’une minorité qui maintient l’illusion de la rareté autour de nous.

Si, comme le dit Lawrence Lessig, « code is law », alors il est grand temps de forker le code de l’économie : la monnaie.


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